19 - COEUR EN BERNE – SENS DE LA SOUFFRANCE



Y a-t-il un sens à la souffrance? Viktor Frankl, fondateur de la logothérapie, nous dit que s’il y a un sens à la vie, alors il y a aussi un sens à la souffrance et à la mort. Un jour un vieux praticien fit remarquer qu’il ne trouvait plus aucun sens à la vie: sa femme qui avait été tout pour lui était morte. Il ne pouvait plus se distancer de ce décès. Frankl lui demanda alors ce qui serait arrivé s’il était décédé avant sa femme. „Elle aurait sans aucun doute été désespérée“. „ Voyez-vous, cela lui a été épargné et c’est vous qui le lui avez épargné, évidemment au prix que vous devez désormais être en deuil d’elle“. Avec cette prise de conscience la souffrance de cet homme avait soudain pris un sens: le sens du sacrifice. Bien qu’il n’ait pu changer son destin, du moins son optique avait-elle changé. Le destin lui avait refusé le cadeau de pouvoir définir le sens de la vie en fonction de l‘amour, mais ce même destin lui offrait la possibilité de s’y laisser confronter, de s’y adapter et d’y voir un cadeau.
Qu’est-ce qui provoque la souffrance? L’envie? La jalousie? L’illusion? L’impuissance à changer la situation? Je dirais que toute souffrance provient de l’incapacité de l’homme à se trouver lui-même et à se forger une vie intérieure.
Imaginez que vous assistiez à un concert dans une grande salle et entendiez la plus magnifique musique qui soit. Il vous vient soudain à l’esprit que vous avez oublié de verrouiller votre voiture. Vous vous tourmentez. Vous ne pouvez ni sortir pour la fermer, ni continuer à vous concentrer sur la musique. Vous voilà pris entre deux feux. Eh oui – de la souffrance que nous avons provoquée nous sommes nous-mêmes responsables. Dieu n’y est pour rien.
D’où vient la souffrance? Elle est le résultat d’une activité mentale, de nos images mentales. Parfois l’esprit trouve aussi un répit et tout va bien. Et puis il se remet à travailler et produit ce que Bouddha nomme des images mentales. La raison commence à juger, à évaluer, elle se lance dans toutes sortes de considérations. Elle évolue dans une certaine direction suivant laquelle elle juge les choses, estime les gens, les événements. Et c’est de ce jugement, de cette sous-estimation et de ces images mentales que résulte la souffrance. Finalement tout trouve son origine dans le mental. A celui qui est pur, tout paraît pur, à l’impur tout paraît impur. Là où la raison ne pose aucun jugement, il n’y a pas de souffrance ni non plus d’autre émotions. Il n’y a que la joie pure. Dans le monde oriental Dieu est pure félicité, sérénité. Celui qui éprouve dans son coeur le divin en toutes circonstances, celui-là reste toujours heureux.

Je me rappelle l’histoire d’un paysan. La seule possession de cet homme était un cheval. Son fils s’occupait du cheval et faisait divers travaux. Un jour le cheval disparut dans la forêt et le paysan en fut très triste. Ses voisins vinrent le consoler: „Quel malheur, quel dommage d’avoir perdu ton cheval, ta seule source de revenus!“ Mais le paysan répondit: „Que ce soit bien ou mal, qui le sait?“ Après trois jours le cheval revint de la forêt avec deux autres chevaux. Les voisins revinrent et dirent: „Quelle chance tu as, maintenant tu as trois chevaux!“ Le paysan répondit à nouveau: „Chance ou malchance, qui sait?“
Le fils trop enthousiaste voulut apprivoiser les nouveaux chevaux, mais le plus sauvage le jeta par terre et il se cassa la jambe. Les voisins vinrent et lui redirent: „Quel malheur, quel dommage que ton fils ne puisse plus travailler! „ Et le paysan reprit tout tranquillement : „Que ce soit bien ou mal, qui le sait?“ Alors s’abattit une grande guerre sur le pays et tous les jeunes hommes durent partir au combat. Lorsque les officiers vinrent chercher le fils, ils le virent avec sa jambe cassée. Il put donc rester à la maison. Et rester en vie alors que la plupart des jeunes gens moururent à la guerre.
Bien ou mal, qui sait?

Il n’y a pas que la souffrance physique. Les souffrances morales sont souvent pires que les physiques. La souffrance est aussi un bon maître pour notre édification et notre maturité. Nous le savons de la vie de grandes personnalités telles que les prophètes, les saints et d’autres grandes figures d’hommes et de femmes dans l’histoire du monde. Le souffrant peut se rapprocher d‘une expérience divine lorsqu’il réalise aussi la dimension surnaturelle de la vie.
Dans le christianisme la question du sens de la souffrance n’est compréhensible que si nous intégrons l’oeuvre rédemptrice de Jésus. Notre souffrance ne trouve son sens que dans le contexte de la souffrance du Christ. La souffrance du Fils de Dieu en croix a pour toujours vaincu la mort. La souffrance humaine revêt une signification salvatrice. Si notre souffrance se fond avec celle de Dieu, il en découle un bien qui vainc le mal.
En fin de compte la souffrance reste mystérieuse, comme Dieu Lui-même est mystérieux. La souffrance souligne aussi notre impuissance devant Dieu et notre incapacité à maîtriser la création de Dieu. Elle rend manifeste l’expérience des limites de la puissance humaine devant la création. La souffrance peut nous aider aussi dans l‘épreuve à nous souvenir de Dieu et à nous accrocher à Lui. Les phénomènes naturels, bons ou mauvais, peuvent nous mener à la méditation silencieuse et à la réflexion. Ils découlent de la nature. Vivre naturellement, c’est-à-dire en accord avec les lois de la nature et de l’esprit, est un art qui permet de préserver son équilibre en toute situation et de ressentir la vie comme étant toujours digne d’être vécue.
Lâcher prise pour goûter les côtés lumineux et sombres de la vie, voilà le grand privilège de la maturité.